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Photo du rédacteurSophie Roche

Le sumō 相撲 : entre tradition, discipline et divinités


Se plonger dans le monde mystique et millénaire du sumō permet de découvrir un lieu où des titans sacrés et vénérés, la tradition, les rituels shintoïstes, et le dévouement se rejoignent au cœur du Japon, formant ainsi l'essence même de ce sport sacré.




« Le dohyō est un espace étrange. Ce cercle de quelque quatre mètres et demi de diamètre recèle en lui toutes les ressources pour vaincre et, en même temps, autant de pièges qui mènent à la défaite.

À partir du centre, la distance à franchir est d'à peine deux mètres vingt-cinq si l’on est expulsé en ligne droite. Et pourtant, quand on tourne en rond le long de sa lisière, on peut continuer indéfiniment sans jamais en sortir. L’espace, aussi délimité matériellement soit-il, est en même temps infini. »


Kazuhiro Kirishima*, l’un des grands noms du sumō qui a profondément marqué la décennie des années 1984 à 1996.


Les Japonais considèrent le sumō comme un gendai budō (現代武道), un art martial japonais moderne. Monuments sacrés d’obéissance et de discipline, les pratiquants de haut niveau échappent à l’anonymat dans un Japon dur pour les petits et les faibles. Les lutteurs de sumō sont appelés rikishi, (le terme sumōtori désigne plutôt le débutant et est très peu employé au Japon). On dénombre environ 660 lutteurs dans tout le Japon répartis dans 47 écuries ou heya.


Plus qu’un sport, le sumō est une véritable école de la vie et du respect de l’autre, un travail quotidien acharné en vue d’acquérir force de caractère, discipline et courage.

Histoire


Mentionné pour la première fois en l’an 712 dans le Kojiki ou « Chronique des faits anciens », le plus ancien livre japonais connu, y est relatée la victoire à mains nues de deux dieux anciens Takemikazuchi contre Takeminakata lors d’un combat de sumō. C'est par cet acte que le peuple mené par Takemikazuchi obtint la possession des îles japonaises et que fut fondée la famille impériale dont est issu l'actuel empereur. Hormis ce que les Japonais gardent de cet écrit du VIIIe siècle, il est impossible de savoir exactement, à part par les légendes, quand le sumō se développa au Japon. Cependant, des peintures murales nous indiquent que ses origines sont vraiment très anciennes.


Trois types de sumō se sont succédé :

  • le sechie-zumō, aux fortes composantes religieuses, qui se déroulait devant l’empereur et évolua en shinji-zumo (sumō à orientation religieuse).

  • le joran-zumō (sumō guerrier), qui vit l’évolution des techniques de saisie pour s’adapter au port des armures (kumi-tachi) et qui, s’enrichissant de coups frappés, fut à la base du ju-jitsu.

  • le kanjin-zumō, que l’on peut qualifier de sumō professionnel, puis sportif, dès la fin du XVIe siècle et encore davantage sous la période Edo (Edo-jidai : 1603 – 1867) où les tournois devinrent de véritables spectacles.


L’époque Meiji, après 1868, donna au sumō sa configuration actuelle et définitive.

Ritualisé à l’extrême et en totale harmonie avec le shintō, le sumō célèbre la nature divine de toute chose et constitue aussi un rituel agricole de prière pour la bonne récolte. 


Le sumō associé au shintō

Les rikishi sont considérés comme des messagers des dieux, et le shintō (shintoïsme) ou « la voie des dieux » est une religion étroitement liée à la mythologie japonaise. Le shintō est centré sur les rapports entre le monde naturel et ses habitants. Il s’efforce de maintenir l’équilibre vital entre les hommes et la nature par des rituels de purification. Le concept de kegare ou « souillure rituelle » est fondamental.

Autrefois les lutteurs s’affrontaient avant les périodes de récoltes pour apporter chance et opulence.


Les écuries, lieu de pratique quotidienne


La heya (ou sumō-beya) et son dohyō

La vie dans une heya est celle d’une grande famille. Un rikishi n’est jamais seul, il fait toujours partie d’un clan dirigé par l’oyakata, l’entraîneur (lui-même ancien lutteur de haut rang en « retraite ») mais aussi le gérant de la heya et un juge lors des tournois. Lui et son épouse font souvent office de parents et les lutteurs provenant de toutes les couches sociales confondues s’engagent sur plus de dix ans au profit de la heya.


Un lutteur aura un ou plusieurs noms différents ou shikona, comme « grande tempête de sable » par exemple, choisis par l’oyakata. Il retrouvera son nom de naissance lorsqu’il prendra sa retraite.

Tu seras sumo
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Il y règne une discipline fortement hiérarchisée, pas de catégorie de poids : seul le nombre de victoires accumulées lors des six grands tournois annuels donne accès à un grade supérieur.


L'arène représente un cercle au sol de la salle d’entraînement fait de corde tressée et s’appelle dohyō. Un diamètre de 4,55 m constitue le centre sacré de l’établissement.

Jusqu'en 1965, les lutteurs d'une même heya ne pouvaient pas se rencontrer lors des tournois officiels.


Les repas, la nourriture

Prendre 10 kg par mois nécessite courage et logistique, et pour cela un seul mot : le chanko-nabe, la potion magique !

Il s’agit d’un gigantesque pot-au-feu de poissons, viandes et légumes relevé de miso (pâte de soja fermenté utilisée dans la préparation de nombreux plats japonais, dont la fameuse soupe miso) et de sauce soja sucrée, accompagné de plusieurs bols de riz. Certains rikishi vous diront qu’ils remplacent parfois un bol de riz par un verre de sake : tout aussi calorique.

Seulement deux repas par jour, le midi et le soir pour une consistance chacun de 8000 à 10 000 calories (ce qui équivaut à une vingtaine de Big Mac). Exercice parfois difficile de grossir, mais l’entraîneur peut aussi les forcer à manger.


La prise de poids pour un lutteur servira à faire baisser son centre de gravité.


Ryogoku Kokugikan sumo Tokyo
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Apprentissage et entraînement ou keiko


On entre au sumō comme on entre dans l’armée.

Ce n’est qu’à partir de 15 ans, lorsque l’on a terminé ses études au collège, que l’on peut entrer dans une heya. Il faudra mesurer au moins 1,67 m et peser au moins 77 kg, la limite d’âge pour débuter se tenant à 23 ans. 


Premiers levés à 5 heures du matin, derniers couchés et de toutes les corvées, mais aussi de toutes les humiliations, les débutants sont les victimes désignées d'office, esclaves des aînés à qui ils doivent soumission et obéissance, en faisant tout leur possible pour rester inflexibles aux diverses brimades et vexations.


Généralement, les entraînements se déroulent chaque matin et durent trois heures de 5 h à 8 h pour des exercices d’endurance, de souplesse et de force, puis suivront trois autres heures de travail spécifique au combat. Et bien évidemment avec plus de 30 heures de pratique par semaine, seuls les plus résistants tiennent et continuent.


heya sumo
La heya (ou sumō-beya) et son dohyō.

L’entraînement se compose de beaucoup d’étirements, grand écart facial ou mata-wari, de pompes, de poussées sur les murs et frappes sur un très gros poteau en bois nommé teppo, nécessaire au développement de la force et au renforcement des articulations des bras et des épaules.


Certains pratiquent également la nage en apnée en dehors des heures d’entraînement.

Il est très important pour un rikishi d’acquérir un centre de gravité très bas et pour ce faire, on pratique le suri-ashi : il s’agit d’avancer, avancer, et avancer encore, sans décoller les pieds du sol, en position mi-accroupie, jambes écartées et buste en avant, en faisant indéfiniment le tour du cercle de corde du dohyō.


Vient alors l’exercice du shiko bien connu qui consiste à lever tour à tour chaque jambe sur le côté en se tapant sur la cuisse, ce geste entier étant destiné à écraser les forces du mal. 

Pour finir, le butsukari-keiko sera effectué à deux jusqu’à l’épuisement. Debout, le rikishi pousse son partenaire de travail sur la terre au sol préalablement humidifiée : le partenaire devra résister suffisamment de manière à se laisser repousser en glissant vers l’arrière sur ses pieds.

On visionne et on re-visionne les vidéos des combats de ses futurs adversaires afin de réfléchir à la meilleure technique à adopter avec eux…. sur les quelques secondes que constituent la bataille.


La tenue et la coiffure


La ceinture qui fait office de seul uniforme est le mawashi. On ne le lave jamais pour ne pas attirer le mauvais œil mais un neuf sera remis aux combattants avant les combats annuels, généralement noir pour les lutteurs, blanc pour l’entraîneur.

La coiffure très particulière s’appelle chon-mage. Le mage qui représente une feuille de Gingko sera coupé lors du départ à la retraite du rikishi et il perdra aussi son nom de lutteur.

Il s'agit de la même coiffure que portaient jadis les samurai qui rasaient le dessus du crâne également.


Chon-mage sumo coiffure
Chon-mage, la coiffure

Les arbitres ou gyōji, lors des combats, portent des costumes traditionnels en soie basés sur des modèles datant du Japon médiéval.

Lors des tournois, au début lors la présentation des lutteurs, chacun est uniquement vêtu du grand tablier de parade brodé, le keshō-mawashi. Les couleurs sont chatoyantes, les dessins souvent originaux.

Ces habits coûtent très cher à ceux qui les financent. Un keshō-mawashi est constitué d’une grande pièce de soie allant de la taille aux chevilles du lutteur et couvrant uniquement l’avant. Sur cette pièce est brodé au fil de soie, d’or et d’argent, le  « logo  » du lutteur : c’est en fait la plupart du temps celui de son sponsor, société commerciale, association de supporters, ou collectivité locale.


Les grands tournois ou honbasho


L'objectif lors d’un combat de sumo ou torikumi est de pousser ou projeter l’adversaire hors du cercle en paille du dohyō, ou de lui faire toucher le sol par une autre partie du corps que les pieds.

Force et astuce, intimidation et intox, mais aussi d’autres vertus sont essentielles pour se tester, se jauger, se toiser afin de faire monter la pression dans une montagne de 180 kg... juste avant les quelques secondes que durera le combat.


Le sumō 相撲 : Entre tradition, discipline et divinités

Mais jamais un mauvais geste, une frappe ou un coup bas n'arrivent qui seraient trop déshonorants : tout l’art du sumo est d’utiliser la force de manière non-violence. Pas de catégories de poids, un lutteur peut se retrouver face à bien plus imposant que lui, et quand deux adversaires se trouvent à égalité pour la vitesse et le poids, c’est alors la technique qui entre en ligne de compte.


Le « temple » national des tournois de sumo à Tokyo s’appelle le Ryogoku Kokugikan, situé dans le quartier et métro éponyme de Ryogoku. L’achat d’une place pour y assister coûte de 3600 à 14 300 JPY en fonction de l’emplacement dans le stade.


Chaque lutteur arrose le dohyō d’une poignée de sel avant son combat afin de le purifier, puis vient le shiko (fait de lever tour à tour chaque jambe sur le côté en se tapant sur la cuisse). Cette action peut être recommencée à plusieurs reprises en fonction du grade, puis on se fixe, c’est le shikiri, face à face poings au sol, on s’observe afin de créer une sorte d’accord spirituel qui permettra aussi d’élaborer la technique utilisée en fonction de l’adversaire.


Les grands tournois ont lieu tous les mois impairs dans différentes villes du Japon, Tokyo pour les mois de Janvier, Mai et Septembre, Osaka pour celui de Mars, Nagoya pour le mois de Juillet et enfin Fukuoka pour le mois de Novembre. 


Grades, salaires et gaijin


Le banzuke, est le document énumérant les classements des lutteurs professionnels de sumō publié avant chaque tournoi officiel.


Le yokozuna est le grade suprême du classement pouvant être attribué, le lutteur verra alors son titre entrer dans l’histoire, et il s’agit là d’un statut quasi divin.

Dénominations et salaires

Dans l’ordre croissant on sera : jūryō, maegashira, sanyaku, ōzeki, ou yokozuna.

Un lutteur gagne l'équivalent d’environ 11 300 à 24 500 USD de salaire mensuel, mais les lutteurs de rang inférieur à jūryō, qui sont considérés comme apprentis, ne reçoivent pas de salaire, seulement un peu d’argent de poche (petite subvention).  


La percée des lutteurs étrangers

Des lutteurs slaves, mongols, hawaïens ou égyptiens remportent aujourd’hui de nombreux combats. Beaucoup de Japonais regrettent un peu la présence de ces grandes figures de champions étrangers mais à vrai dire surtout le manque de champions japonais, car il est devenu difficile de recruter de jeunes lutteurs au Japon alors qu’il était autrefois impensable qu’un non-Japonais puisse pousser la porte d’une heya.


Les jeunes préfèrent le football, le baseball, le hockey sur glace. Les écoles de sumō doivent parfois recruter des lutteurs en lançant des appels à candidature ou aller en repérage au cœur d’autres disciplines, comme les arts martiaux.


Les femmes sumō


On trouve les premières traces du sumō féminin appelé onna zumō vers 500 après J.-C., et c’est en octobre 2001, à l’occasion du 10e championnat du monde, qu’à été organisé le premier championnat féminin à Aomori au Japon : le shin-sumō.

Pendant très longtemps les femmes furent interdites ne serait-ce que d'assister aux combats (aujourd’hui elles n’ont simplement pas le droit de fouler le sol du dohyō, l’arène sacrée du Ryogoku Kokugikan à Tokyo).


sumo femme

Le onna zumō était pratiqué dans les maisons closes pour divertir les hommes et ce sport féminin fût définitivement interdit en 1926.

La fédération internationale de sumō (FIS) désireuse de participer un jour aux Jeux Olympiques se voit alors contrainte d’ouvrir la lutte aux femmes :  en effet la principale condition pour qu’un sport puisse figurer aux jeux olympiques est que les femmes y soient aussi représentées.


Elles ont donc accès à un sumō amateur et un seul établissement accueille des femmes rikishi, l’université Nichidai à Tokyo qui est aussi la plus grande du Japon.


Programme annuel par le JNTO


TOKYO Janvier : du 1er ou 2e dimanche au 3e ou 4e dimanche du mois. Mai : du 1er ou 2e dimanche au 3e ou 4e dimanche du mois. Septembre : du 2e au 4e dimanche du mois.

Lieu: Kokugikan Sumo Hall, 1-3-28 Yokoami, Sumida-ku, Tokyo.

Tél. (03)3623-5111 Près de la gare JR Ryogoku (ligne Chuo) ou de la station Ryogoku (ligne Oedo).


OSAKA Mars : du 2e au 4e dimanche du mois.

Lieu : Osaka Furitsu Taiikukaikan (gymnase de la préfecture d'Osaka), 3-4-36 Namba Naka, Naniwa-ku, Osaka.

Champion de sumo

Tél. (06)6631-0121 Station Namba (lignes Midosuji et Sennichimae), gare de Namba (ligne Kintetsu Railway).


NAGOYA  Juillet : du 2e au 4e dimanche du mois.

Lieu : Aichi Ken Taiikukan (gymnase de la préfecture d'Aichi), 1-1 Ninomaru, Naka-ku, Nagoya.

Tél. (052)971-2516 5 m à pied de la station Shiyakushomae (ligne Meijo).


FUKUOKA Novembre : du 2e au 4e dimanche du mois.

Lieu : Fukuoka Kokusai Center Sogo Hall, 2-2 Chikko-Honmachi, Hakata-ku, Fukuoka.

Tél. (092)272-1111 10 m à pied de la station Gofuku-machi (ligne Hakozaki).



Bon à savoir


Il est parfois possible d’assister gratuitement à un entraînement sur inscription, certaines écoles le tolèrent : aucune demande par e-mail n'est possible, il faut se rendre à la heya la veille pour demander si l'on peut venir regarder l'entraînement le lendemain matin !

Attention toutefois : soyez sûrs de pouvoir rester assis par terre sur un coussin pendant 2 h (il est malvenu de quitter ce genre de lieu en plein milieu d’une séance), déconseillé donc aux enfants, et il faudra également veiller à garder le silence, voire se présenter avec un petit cadeau (biscuits ou autre), politesse japonaise conseillée !


Pour aller plus loin...


mémoires d'un lutteur de sumo
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« Mémoires d'un lutteur de sumô » de Kazuhiro Kirishima


tiré de son autobiographie 

superbement bien traduite

en français (ci-contre).


Le site officiel du sumō : http://www.sumo.or.jp/En


Liste des adresses de heya à Tokyo

NB : en contactant cette heya en anglais, on vous propose de venir assister à un entraînement en téléphonant la veille pour le lendemain.


Le musée du sumō se trouve au rez-de-chaussée du Ryogoku Kokugikan à Tokyo.


Crédits photo :

Wikipedia

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